Dans le cadre de son expansion, AGILEA a été amené à participer à la conférence TOCICO en juillet 2017. TOCICO est un organisme de certification qui propose annuellement une revue d’études de cas et des nouvelles pratiques associées à la Théorie des Contraintes. AGILEA a eu l’honneur d’intervenir sur les approches Chaîne Critique et Fabrication. Dans les prochains mois, nous vous proposons de revenir sur les différentes présentations qui ont marqué cette conférence annuelle.
Nous voyons depuis quelques années les disciplines d’amélioration continue s’étendre hors de l’industrie, notamment les services et le secteur hospitalier.
Cela fait sens puisque l’amélioration continue cherche à améliorer les flux ; or, la prise en charge des patients, les services de blanchisserie ou de restauration peuvent être vus comme des flux.
Malheureusement, la mauvaise application de ces disciplines dans le milieu hospitalier a induit des comportements particulièrement négatifs et des pratiques douteuses… Comme la réduction des coûts. Dans ce schéma, dès qu’une amélioration est réalisée, on cherche aussitôt une équivalence ressource afin de la supprimer ou d’éviter de la remplacer.
Et si nous pouvions utiliser nos améliorations à autre chose qu’à faire moins ?
Comme souvent en amélioration continue, il est important de rechercher les règles de gestion associées aux effets plutôt que de sortir, de prime à bord, la boîte à outils des approches pour optimiser le symptôme négatif. Dans une étude de cas transformée dans le livre de Bob Sproull [A], celui-ci évoque les raisons qui poussent à faire les sorties de patients le matin et les entrées l’après-midi.
Le temps de nettoyage d’une chambre peut être relativement long ; dans cet hôpital, chaque femme de ménage est affectée à une chambre pour le nettoyage, après la sortie du patient et avant l’entrée de l’autre.
Une application de l’amélioration continue consisterait à mettre les agents d’entretien dans les meilleures conditions pour réaliser plus rapidement cette tâche. Nous pourrions appliquer du 5S ou du management visuel pour réduire le temps opératoire.
Mais prenons les choses sous un autre angle, et regardons les règles de gestion générant ce phénomène.
Les agents d’entretien travaillent partiellement, uniquement le matin, plutôt que toute la journée afin de coûter moins chers. Ainsi chaque agent d’entretien travaille sur une des chambres et la libère quelques temps après.
En terme de flux, nous utilisons souvent l’approche suivante :
- Vous êtes responsable de service
- Six de vos chambres se libèrent en même temps
- Vous disposez de 6 agents d’entretien pour les libérer
- Pour libérer une chambre :
- Si vous mettez 1 agent, cela prend 6 heures*
- Si vous mettez 2 agents, il faut 3 heures*
- Avec 3 agents, 2 heures*
- Avec 6 agents, 1 heure*
* Ces chiffres sont purement indicatifs et ne représentent pas une vérité.
Comment affectez-vous vos équipes ?
Vu sous cet angle, la plupart des responsables de service ont tendance à répondre le dernier scénario ; car il libère des chambres plus vite ! De leur propre aveu, c’est pourtant le contraire qui est fait au quotidien.
Ainsi, une pratique qui a été mise en œuvre a été de faire travailler les équipes de nettoyage sur une seule chambre afin de la libérer plus vite. La conséquence directe de ce changement est que la disponibilité des chambres augmente et que le temps d’attente aux urgences diminue.
Un des autres aspects intéressant de la Théorie des Contraintes dans le milieu hospitalier est lié à l’affectation des lits.
Dans certains hôpitaux, l’allocation des lits se fait de manière annuelle basée sur le taux d’occupation de l’année précédente. Dans cette approche, il y a plusieurs problèmes à partager :
- Le premier réside dans la saisonnalité de certaines maladies faisant varier le nombre de lits de manière assez importante au cours de l’année.
- Le second point réside dans la variabilité inhérente à une localisation. En effet, d’un point de flux, on peut considérer l’hôpital en lui-même comme un point nodal central qui distribue les lits dans différents services. Ainsi nous pourrions comparer ce système à un réseau de distribution plus ou moins maillé ; car un service comme la pédiatrie peut abriter plusieurs services (urgences, chirurgie, néonatalité, etc.)
Dans ce système d’allocation, la course aux lits est parfois devenue un enjeu majeur. En effet, ne plus avoir de lits dans un service revient à déplacer le patient ou à le faire attendre jusqu’à ce qu’un lit se libère ! Alors qu’au même moment dans un autre service de l’hôpital, un lit n’est pas utilisé…
Ce principe d’allocation est souvent lié à une course à la réduction des coûts, où en réduisant le nombre de lits, le niveau d’occupation des équipes est plus élevé. En effet, quelle est l’utilité d’avoir des lits vides et des équipes, si les patients ne viennent pas ?!
Ainsi en réduisant le nombre de lit, on réduit les équipes et on gagne de l’argent…soit disant.
Outre le fait que la « rentabilité » de cette politique n’est pas démontrée dans la rentabilité financière des hôpitaux, il convient de se demander quels problèmes engendrent ces choix. La raison de la non visibilité est assez simple, les coûts ne diminuent pas à l’échelle globale. En réalité, qu’un service soit plein de malade ou pas, les dépenses de fonctionnement sont pour la plupart des charges fixes, même les salaires. Lorsque moins de lits sont affectés, les ressources sont déplacées ailleurs dans l’hôpital ou ailleurs dans le réseau de santé. Ainsi le nombre de ressources reste équivalent, donc les dépenses aussi. Par contre, ce qui baisse, c’est le nombre de lits disponibles. Si moins de lits sont disponibles, alors moins de patients sont traités… Alors il y a moins de revenus pour l’hôpital.
La Théorie des Contraintes à travers ses apports en distribution propose de revoir la règle d’affectation des lits.
Plutôt que d’affecter les lits à des services, les lits sont centralisés au niveau de l’hôpital et distribué en fonction des besoins. Ces applications ont déjà eu lieu un certain nombre de fois et collectés dans les livres : We All Fall Down, Performance in Heathcare et Pride & Joy.
Avec ce changement de paradigme, les lits sont affectés au niveau des services en fonction des malades arrivant ; et non la moyenne des malades présents dans ledit service l’année précédente. Ainsi l’organisation de l’hôpital s’adapte à la demande et sait utiliser les ressources à bon escient. En effet, les ressources n’ont plus besoin d’être placées, déplacées de manière institutionnelle mais peuvent rester affectés à un service. Et donc amener de la polyvalence en cas de surcapacité vers un autre service lui-même en sur activité.
[A] Focus and Leverage, Bob Sproull, 2015