Le biais du survivant appliqué aux projets DDMRP

Le biais du survivant appliqué aux projets DDMRP.

Rappelons tout d’abord ce qu’est le biais du survivant :

Le biais du survivant est un biais de sélection. Il consiste à surévaluer l’efficacité d’une méthode en se focalisant sur ceux qui ont utilisé cette méthode avec succès…. (et en ignorant ceux qui ont utilisé la même méthode en échouant)

La question que l’on peut alors se poser est de savoir si cela est pertinent et suffisant pour se forger une opinion sur telle ou telle approche ?

“Lors d’une visite d’un sanctuaire dédié aux dieux, on présenta à Diagoras, un philosophe grec célèbre pour son athéisme, de nombreuses tablettes dépeignant des naufragés sauvés des flots par leurs prières. Le prêtre demanda ensuite “Toi Diagoras, qui est convaincu que les dieux ne se mêlent en rien des affaires des hommes, comment expliques-tu alors qu’ils en aient tant sauvés ?” Diagoras répondit : “C’est simple. Ceux qui ont priés et se sont noyés ne sont dépeints nulle part”

(Le cygne noir : la puissance de l’imprévisible, Nassim Nicholas Taleb).

Que nous apprend cet extrait ? il faut apprendre à voir ce qui ne se voit pas.

Autrement dit, pour apprendre, il ne suffit pas d’appréhender les succès et croire en toutes les promesses marketing proposées par les uns ou les autres. L’apprentissage d’une nouvelle méthode se construit aussi sur les échecs et les difficultés.

C’est vrai que tout de suite, c’est bien moins vendeur et beaucoup plus difficile à romancer ou à mettre en avant. Or il s’agit là de la plus belle école, l’école de l’apprentissage.

Quand on lit « Diviser les stocks par 3 « grâce au DDMRP » en 4 mois. »  Devons-nous lire une promesse ? un slogan ?

Évidemment, pour ceux qui connaissent la démarche, nous savons nuancer. Mais la cible de ce slogan ne sont pas les experts. La population cible est constituée de curieux s’intéressant ou se questionnant sur la méthode. Lorsqu’on observe l’engouement des uns et des autres sur l’approche depuis plusieurs années maintenant, on constate que cela marche. Le slogan attire et attise.

Fort de nos projets et de nos expériences ratées, nous souhaitons apporter un regard objectif, réaliste et pragmatique sur les déploiements de projet DDMRP.

Essayons de répondre à une première question : que signifie donc « réussir son déploiement DDMRP ? »

Nous avons des clients qui avaient pour fonctionnement de lancer en production l’équivalent de 1,5 an de consommation en campagne (MOQ). En paramétrant le modèle avec des lancements couvrant 60 jours de demandes dans un outil DDMRP, on obtient rapidement des recommandations pertinentes qui amènent à des résultats impressionnants.  Avons-nous pour autant réussi le déploiement de la méthode DDMRP ? Quelle est la part de réussite liée à la méthode DDMRP ? Si nous avions simplement remis en question les paramétrages historiques et choix stratégiques ; point de découplage stratégique, taille de lot, choix fournisseurs…, aurions-nous eu des résultats si différents ?

Pour la majorité des exemples que nous avons vus, si nous étions un peu provocateurs… (évidemment, cela reste un postulat à confirmer !)… « annoncer avoir réussi son déploiement DDMRP en quelques semaines », revient à dire que vous avez « réussi une transformation LEAN » parce que vous venez de terminer votre projet 5S. Vous nous rétorqueriez alors que nous faisons un peu de mauvaise foi… peut être !

Au-delà du délai de déploiement qui dépend des contextes de l’entreprise (Interne : maturité des modèles MRP2, santé/fiabilité des masters data, BOM, base articles, gamme…. / Externe : marché, fournisseur, intégration, positionnement), il s’agit de prendre en compte les notions de niveaux et de maturité de déploiement.

Le déploiement d’une démarche et d’un outil DDMRP fait franchir un cap indéniable aux équipes. La démarche est facile à intégrer et ergonomique. Les planificateurs et utilisateurs sont assez souvent conquis par la simplicité d’interprétation des priorités. On constate régulièrement une appropriation plus rapide des outils. C’est le côté visible de l’iceberg.

Cependant, les enjeux de gestion du changement et d’évolution de management restent très importants. Il faut les comprendre et les anticiper pour « réussir* » son déploiement.

*réussir serait alors mettre en place un système piloté par la demande, guidé par des indicateurs pertinents d’écoulement de flux et qui soit maintenu à jour dans le temps.

Deux enjeux importants à bien intégrer :

1. L’évolution du métier des planificateurs 

Contrairement à ce que nous avons pu lire ou entendre, les planificateurs ne sont pas transformés en presse bouton ; «  C’est dans le vert, j’attends. C’est dans le jaune, je commande ». Le métier reste tout aussi sophistiqué et complexe.

Un des enjeux du DDMRP est de permettre la validation massive des recommandations pour que les gestionnaires puissent se consacrer à :

  • Trouver des solutions alternatives aux routes « normales » pour les articles en urgence (rouge).
  • Traiter les alertes d’exécution. Et donc suivre l’écoulement du flux côté fournisseur et côté interne et à proposer des solutions ou priorisations si besoin. Pour une partie d’entre eux, véritables experts dans leurs domaines pour anticiper, interpréter et gérer la nervosité du système avant le déploiement, cela peut parfois être vécu comme une « perte d’expertise ». Il faut alors bien expliquer et rappeler le cœur de leurs activités cibles et leur vraie valeur ajoutée.
  • À soutenir et améliorer le système. Ce sujet est souvent sous-estimé ou mal approprié par les planificateurs. Il faut attendre des planificateurs un regard critique sur le paramétrage fin des articles. Ils doivent remonter quotidiennement leurs points d’étonnement ; nouveaux articles non paramétrés, buffer qui semble surdimensionné, taille de lots pas à jour, article qui passe du vert au rouge trop rapidement… Autant de points qui seront à traiter via les rituels de pilotage. Et que des automates intelligents peuvent aider à traiter.

Il est important de bien comprendre que les planificateurs sont les experts qui sauront apprécier la cohérence des paramétrages. Ils doivent donc être acteurs en validant les recommandations, mais surtout les co-constructeurs du modèle en ayant un regard critique et constructif au quotidien. Et il n’y a pas de secret ! Il faudra les former, les accompagner et expliquer ce que l’on attend d’eux pour donner du sens à toutes ces actions.

Si cela n’est pas fait dans les règles de l’art, alors on tombe dans les mêmes affres que pour tout système de planification ; perte de confiance dans les recommandations et bricolage de système de recommandations dans Excel pour compenser cela.

2. Les rituels de pilotage et alignement du modèle opératoire :

L’idée n’est pas de détailler tous les rituels à mettre en place. Nous les avons listés et décrits dans des fiches dédiées mais à adapter aux contextes spécifiques des entreprises. Nous souhaitons mettre l’accent sur les besoins de :

  • Faire évoluer les indicateurs de pilotage 
    • Le comportement des équipes change en fonction des indicateurs. (fameuse théorie de l’indicateur)
    • Vous mesurez la valeur de stocks, ok. Et si on regardait en couverture ?
    • Mesurez-vous le nombre de ruptures avec besoin ? Le nombre de kits complets ?
    • Mettez-vous l’accent sur l’OTD, le respect de planning ? Sur l’évolution des délais moyens ? .

Le choix des indicateurs définit les règles du jeu avec vos équipes. C’est un message très fort d’engagement que vous envoyez. Il s’agit donc non seulement d’intégrer ces indicateurs Demand Driven dans vos rapports existants, mais aussi de supprimer tous les indicateurs qui leur seraient contradictoires.

Exemple vécu :

  • Mesurer le nombre de buffers dans le rouge. Et en même temps garder un indicateur mesurant les OA ou OF « sans besoins » sur des articles qu’on souhaite stocker.
  • On demande de produire en suivant les recommandations DD. Mais on maintient une prime à la productivité poussant les regroupements en production.

  • Structurer la démarche autour de rituels. Ils sont la colonne vertébrale du système à terme. Ils doivent permettre aux managers de :
    • Récolter les retours et remarques des planificateurs
    • Faire redescendre les évolutions du modèle opératoire
    • Suivre les actions nécessaires pour améliorer les recommandations et maintenir le système cohérent et pertinent dans le temps

Il s’agit donc de donner les clefs de lecture et d’action à vos managers ; que regarder, comment interpréter et quelles actions faire ? donc beaucoup de réflexes à faire évoluer. Évitons de les mettre en position d’échec. Ils doivent avoir un coup d’avance par rapport à leurs équipes et être à l’aise dans l’appropriation et l’animation de ces rituels quotidiens et hebdomadaires.

Ces 2 enjeux métiers sont des clefs de la robustesse du système.

Les entreprises qui recommencent un projet 1 an après le pilote, qui n’arrivent pas à dépasser le 1er périmètre dans leur déploiement ou qui n’obtiennent pas les résultats attendus n’ont a priori pas pris sérieusement en compte les deux points ci-dessus.

Tout comme nous dénonçons les projets DDMRP sur base de fichiers Excel, qui ne permettent que trop rarement de réussir les projets, nous souhaitons mettre en avant que la vraie réussite des projets DDMRP tient plus dans l’évolution des mentalités, des réflexes au quotidien des équipes et des changements de paradigme au plus haut niveau de l’entreprise que dans l’installation d’une solution logicielle.

« The one more thing » –  Ce qui a aussi manqué à ceux qui ont raté – Adopter la stratégie de l’hélicoptère

Cela consiste à offrir de la hauteur de prise de vue et de la légitimité aux équipes, tout en allant traiter les problèmes très terrains. Il faut savoir naviguer entre les deux en permanence. Ceci afin de mettre en perspective les actions du quotidien avec une stratégie et une orientation globale qui légitiment les actions de nos équipes terrains.

C’est pourquoi il ne faut pas déployer localement, sous forme de pilote, mais prendre ces projets dans leur globalité, en commençant par définir la stratégie de l’entreprise ; MAKE, BUY, order winner potentiel, positionnement sur son marché et délai attendu.

  • Est-ce que si je propose demain ces produits en 4 semaines au lieu de 6 c’est un enjeu business sur mon marché ?
  • Faut-il externaliser ces activités ?
  • Est-ce qu’en payant plus cher ma sous-traitance, mais en réduisant son délai, ce serait plus pertinent pour ma réactivité et pour mon business ?

Sur la base de ces ateliers de conception MACRO « design de la supply chain globale » validés en comité de direction, vous pourrez descendre d’un niveau afin de déployer l’approche par unité.

Dès lors, vous pouvez lancer votre premier périmètre. Il servira à constituer votre équipe et votre kit de déploiement ; document de communication, support de formation, liste des règles de fonctionnements, checklist de déploiement. Il vous permettra aussi de constituer un retour d’expérience pour en faire bénéficier les autres unités/sites/BU.

Sur chacun de ces déploiements, vous aurez à faire face à des problèmes très terrains, très spécifiques, liés aux métiers et aux habitudes qui doivent évoluer… Il est important de les traiter, d’y répondre et de faire évoluer les réflexes. Mais c’est beaucoup plus simple de le faire en ayant la légitimité d’un projet global et des règles de fonctionnement macro. Ce sera le sens de l’histoire. Il faut donner la légitimité de l’action et la sérénité dans la réalisation. Combien de fois avons-nous fait face à des approvisionneurs effrayés de passer des commandes en raison de la pression historique sur les stocks et en cours…

Que retenir ?

Notre expérience permet de croire aux succès des déploiements DDMRP lorsque les entreprises ont compris que « réussir » c’est miser et investir (argent, mais surtout temps) ; sur ses équipes, sur la formation et sur l’effort d’accompagnement des changements d’état d’esprit que cela induit.

Nos expériences passées et actuelles sur les démarches Demand Driven, nous laissent penser que sans solution logicielle, pas de déploiement possible. Et sans changement profond dans l’entreprise, pas de déploiement pérenne.

L’objectif de cet article est d’éclairer les entreprises souhaitant démarrer une démarche DDMRP. Elles ne doivent pas s’attaquer à un pilote seulement, mais préparer un voyage, une transformation qui requerra toute l’attention et l’implication de la direction. Ce sera évidemment plus difficile et/ou plus long que dans les promesses, mais les retours sur investissement seront à la hauteur.

Vous cherchez un ROI à vos projets DDMRP ?  Posez-vous ces questions :

  • Est-ce que mes équipes font mieux maintenant, ont de meilleurs résultats que si elles avaient fonctionné comme avant ? Est-ce qu’elles passent plus de temps à traiter des problèmes qu’à recalculer le CBN dans Excel ?
  • Ont-elles acquis des habitudes et des réflexes qui sont positifs pour mes flux et mon BFR ?
  • Mes services de production et de planification fonctionnent-ils bien en étant alignés sur les besoins client et non plus de manière silotée ?
  • Est-ce que mes équipes ne suivent pas aveuglement des paramétrages réalisés lors du déploiement, mais ont développé leur esprit critique ?
  • Sont-ils à même de faire évoluer le modèle opératoire en autonomie (DDS&OP) ?

Si les réponses sont positives, alors les résultats chiffrés sur l’OTD et sur le BFR suivront. Les gains seront pérennes et vous aurez vraiment travaillé sur la résilience de votre supply chain. Vous aurez réussi ou bien amorcé votre déploiement Demand Driven.

Évidemment on peut faire ça sans déployer les méthodes Demand Driven. Mais reconnaissons qu’en plus des innovations pertinentes que propose la méthode, et en respectant l’approche préconisée, cela a le bon ton de remettre à plat beaucoup de paramètres et d’habitudes qui ne peuvent qu’aider à orienter vos modèles de supply chain dans le bon sens.

Thomas JANSSEN, Thomas COUTERON, Damien BROCHARD