Internet Physique et Demand Driven MRP, deux visions complémentaires ?

Demand Driven MRP et Internet Physique : des idées différentes qui permettent d’accélérer le flux physique.

L’internet physique est un modèle complet de chaîne logistique englobant les aspects économiques, sociaux et environnementaux. Dans cet article nous faisons le choix de nous intéresser principalement aux thématiques transports et distribution de l’internet physique, en se focalisant sur les enjeux économiques. L’internet physique repose sur la notion d’hyper connectivité ; c’est-à-dire un réseau d’acteurs et de moyens interconnectés et collaborant pour accélérer et faciliter le flux physique entre deux points.

La  méthodologie Demand Driven MRP (DDMRP) nous donne des outils de gestion simplifiée et visuelle de la supply chain en se focalisant sur l’accélération du flux [Ptak and Smith, 2016]. La transformation se fait en 5 étapes [vidéo explicative], et en utilisant quotidiennement les données de votre ERP, vous pourrez fournir à vos équipes de nouveaux outils visuels de planification et de suivi. Un des concepts clés de DDMRP est de gérer des points de découplage et des points de contrôle à travers l’utilisation de buffers permettant de protéger votre supply chain des aléas du quotidien.

Ces deux visions que nous venons de décrire doivent respectivement permettre d’accélérer et de simplifier la circulation des objets physiques… Et de rendre nos supply chain agiles.

Mais, alors que DDMRP met en avant la gestion de toute la chaîne par l’intermédiaire de quelques points stratégiques définis, l’internet physique s’appuie sur la notion d’hyper connectivité du réseau ; gérer l’ensemble des points d’interfaces d’un réseau d’acteurs et de moyens logistiques, tous collaboratifs et interconnectés.

Avec ce constat, ces deux visions peuvent-elles être compatibles ?

DDMRP et l’internet physique peuvent-ils être bénéfiques l’un à l’autre ?

Collaborer : un prérequis de l’internet physique au bénéfice d’un DDMRP appliqué à l’ensemble de la supply chain ?

La collaboration est au cœur de l’internet physique, elle est même un pré-requis à son fonctionnement. Ainsi, les plateformes logistiques partagées entre différentes entreprises permettent de charger des camions complets (de différents transporteurs) avec des produits de différentes entreprises. Cette collaboration qui va devoir se développer pour arriver à l’internet physique, pourrait aussi faciliter la transformation de DDMRP sur la totalité d’une supply chain.

En effet, même s’il n’y a pas de blocage dans la méthode, DDMRP est aujourd’hui souvent déployé dans le cadre d’une même entreprise. L’impact positif de DDMRP sur l’accélération du flux pourrait être bénéfique à l’ensemble d’une chaîne jusqu’au client final. Toute initiative permettant d’inciter et de développer la collaboration entre acteurs industriels serait alors bénéfique. Adage bien connu des habitués de la théorie des contraintes ; il faut viser une amélioration de la performance globale de la chaîne.

L’hyper connectivité peut-elle modifier notre approche d’une transformation DDMRP ?

En jouant sur l’hyper connexion d’un réseau de distribution, l’internet physique permet une circulation accélérée des objets transportés. C’est une des conséquences économiques bénéfiques du système hyper connecté. L’approche DDMRP se base sur une gestion par l’intermédiaire de quelques points stratégiques définis. Elle permet alors de gérer son réseau comme étant une succession d’étapes « découplées » les unes des autres.

C’est cette notion de contrôle des points stratégiques, propre à DDMRP, qui pourrait faciliter la gestion du réseau complexe de l’internet physique. Dans les premiers déploiements d’un tel réseau, gérer parfaitement l’ensemble des étapes, acteurs et moyens du processus complet sera difficile. Une approche de gestion par l’intermédiaire de quelques points stratégiques préalablement déterminés pourrait être bénéfique au système dans son ensemble.

La notion d’hyper connectivité n’est pas nécessairement incompatible avec l’idée de découplage de certaines étapes du processus. De la même façon que certains centres de données de l’internet digital sont supervisés – car essentiels au réseau dans son ensemble – il pourrait en être de même pour certaines plateformes logistiques du réseau physique.

DDMRP, une réponse adaptée à la question de la priorisation dans un réseau hyper connecté ?

L’internet physique repose sur des principes de connexion et de circulation automatique des informations ; avec des conteneurs connectés permettant de constituer des camions complets à chaque centre de distribution traversé. Sur ce sujet, DDMRP propose une approche de priorisation visuelle et efficace ; en se basant simplement sur le statut du buffer (pourcentage) de l’article concerné.

Prenons la situation suivante : deux entreprises fabriquant respectivement des lave-linges (produits A à F) et des biscuits (produits I à VI) ont des usines à Lyon.

Leur supply chain est organisée pour qu’ils puissent livrer leurs produits vers Nice et vers Paris. Les schémas ci-dessous présentent comment décider du remplissage des camions selon un fonctionnement internet physique, DDMRP ou avec la combinaison des deux.

Dans ce premier cas ; un centre de distribution collaboratif, tel que l’internet physique le propose, distribue les produits de nos deux entreprises. Afin d’optimiser le remplissage, les entreprises font appel à ce réseau pour grouper les expéditions par destination.

Avantages : remplissage optimisé, moins de camions nécessaires, trajet direct.

Limites : quelle règle de priorisation appliquer pour le remplissage des camions ?

Dans ce deuxième cas, les entreprises utilisent DDMRP pour prioriser le remplissage de leurs camions. Les articles dont le statut de buffer est prioritaire remplissent un camion qui va livrer les deux destinations.

Avantages : Management visuel des containeurs prioritaires, les articles non urgents seront livrés lors de la prochaine expédition.

Limites : Chaque entreprise remplit un camion uniquement avec ses produits. Le temps de livraison sera plus long pour la deuxième ville desservie.

Dans le troisième cas, les entreprises s’appuient sur le réseau de distribution collaboratif : 1 camion par destination. Le choix des containeurs à charger en priorité est effectué selon le statut de buffer de l’article concerné.

Le management visuel et efficace de priorisation des expéditions par DDMRP est appliqué au réseau de l’internet physique. Nous avons pris les points positifs de chaque méthode pour les combiner et obtenir un réseau collaboratifs géré par DDMRP.

Cet exemple est évidemment une simplification de la réalité.

Mais en appliquant cette approche à un réseau multi-sites, à l’échelle nationale et avec plusieurs transporteurs et clients possibles, on voit l’intérêt d’appliquer la priorisation par statut de buffer DDMRP. Ce qui permet de simplifier la gestion des articles traversant le réseau.

Ainsi chaque centre de distribution pourrait permettre le remplissage de camions en priorité à partir d’articles rouge de différentes entreprises mais ayant la même destination (finale ou intermédiaire). Un conteneur connecté avec un management visuel (couleur et statut du buffer) permettrait de suivre la constitution des camions. Et dans une optique plus avancée, tel que l’internet physique nous invite à imaginer pour demain, un centre logistique pourrait être automatisé. Il serait géré depuis une salle de contrôle ; avec des conteneurs connectés renvoyant l’information de statut de buffer au système en charge de la constitution des camions.

Finalement, dans le système connecté et collaboratif imaginé par l’internet physique, des règles de priorisation simples et efficaces pour constituer des camions complets semblent essentielles. Avec sa gestion par zone et statut de buffer,  DDMRP serait-il ainsi une réponse adaptée ?

Complémentaires ou non, mais à quel horizon ?

L’internet physique est un projet ambitieux ; la mise à niveau d’un point de vue technologique de tous les moyens existants (conteneurs, camions, moyens de de manutention, bâtiments, etc.) et la réorganisation des plateformes logistiques nécessiteront un effort et un investissement importants. Cet article présente des pistes de réflexion sur la potentielle complémentarité de ces deux modèles. Nous avons vu que dans certaines situations, une association pourrait être bénéfique et améliorer la performance de la chaîne dans son ensemble.

L’économie collaborative est désormais présente dans notre quotidien. Nous pouvons raisonnablement imaginer qu’il en sera de même, dans le futur, d’un point de vue industriel et que l’internet physique en sera une composante majeure. Mais aujourd’hui, DDMRP apporte une méthodologie simple et relativement peu coûteuse, en déployant une solution interfacée avec votre ERP. Il s’agit bien d’une modification du mode de pensée et des méthodes de travail pour plus d’agilité. Mais sans pour autant remettre en question l’intégralité des moyens physiques et technologiques utilisés dans votre entreprise. Oui, le changement de paradigme en logistique présenté par l’internet physique est essentiel et arrivera. Mais en attendant, n’oubliez pas de protéger votre système de la variabilité, qui elle, restera présente dans le futur.

Auteurs : Thomas COUTERON et Romain MICLO (AGILEA)

Références :

Ptak, C., & Smith, C. (2016). Demand Driven Material Requirements Planning (DDMRP). Industrial Press.