Les repas de famille et la gestion des approvisionnements.
On croit toujours que ça va être simple, une réunion de famille. Quelques invitations, un bon repas, deux ou trois blagues de Tonton relou… et voilà. Mais non. C’est une opération logistique de haute précision, avec des enjeux dignes d’un plan de continuité d’activité post-crise.
Entre Tata Monique qui ne jure plus que par les graines depuis qu’elle a regardé un documentaire sur Netflix, Le cousin Lucien qui devient hystérique si le beurre n’est pas demi-sel (“le vrai, voyons !”), et le petit dernier qui ne reconnaît que les nuggets en forme d’animaux imaginaires, on se retrouve avec une mission aussi simple que désamorcer une bombe sans mode d’emploi : avoir les bons stocks, au bon moment, pour les bonnes personnes. Ou, plus simplement, ne pas provoquer d’émeute autour de la dernière part de flan.
Alors oui, on appelle ça “gestion des approvisionnements”, mais dans ce contexte précis, c’est surtout de la survie logistique avec un soupçon de télépathie.
Parce que prévoir ce que vont réellement consommer 12 individus lunatiques à forte charge affective, c’est un art. On pose la question sur WhatsApp : “Qui mange quoi ?” Résultat : une avalanche de messages contradictoires, de “je sais pas encore” et de “ça dépend si y’a du poisson”. Bref, une prévision de demande aussi fiable qu’un horoscope de magazine télé.
Et comme on n’a pas envie de se faire pourrir par Tonton Robert (toujours à l’affût pour dire que “dans le temps, au moins, y’avait du rab”), on double les bouteilles de vin et on triple le dessert. Parce que le vin se boit toujours, et le tiramisu disparaît plus vite qu’un fichier Excel mal enregistré.
Ensuite, il faut faire les courses. Et là, on entre dans la phase “choix stratégique du fournisseur”. Est-ce qu’on brave la foule de Carrefour ? Est-ce qu’on tente le Grand Frais, avec ses rayons trop beaux pour être honnêtes ? Ou est-ce qu’on joue la carte locale, avec Jean-Claude du marché qui file un saucisson en bonus quand il est de bonne humeur ?
Et là, soyons clairs : la qualité, le prix et le délai, c’est bien. Mais ce qui compte vraiment, c’est que le boucher vous reconnaisse, vous fasse un clin d’œil et vous mette de côté les 4 côtes de porc que tout le monde s’arrache. C’est là qu’on voit que la relation fournisseur, ça se travaille. Même en tongs.
Évidemment, malgré toute votre préparation, rien ne se passe comme prévu. Vous aviez compté large pour le couscous. Et bam, tout le monde se ressert. Même ceux qui n’avaient pas très faim”. Résultat : rupture de stock en merguez, et crise diplomatique au moment de faire les parts de semoule.
C’est ce qu’on appelle, dans notre jargon, un effet coup de fouet.
Mais vous n’êtes pas nés de la dernière pluie. Vous aviez prévu des réserves dans le congélateur. Un tiroir entier de trucs “au cas où”. Là, vous avez gagné votre galon de Supply Chain Manager domestique. Et évité un incident diplomatique majeur.
Sauf qu’évidemment, tout ne dépend pas de vous. Il y a toujours des impondérables. Le four qui décide de claquer au moment de réchauffer le gratin dauphinois. Le saladier qui se suicide en chutant de l’étagère. Ou ce charmant neveu qui renverse du sirop de grenadine dans la carafe de vin (pour faire une “potion magique”, dit-il, avec les yeux brillants). Alors on s’adapte. On improvise. On devient agile.
Et une fois la tempête passée, le café servi, les enfants assommés par le sucre et les adultes à moitié allongés sur les chaises, on fait ce que fait toute bonne équipe logistique : on tire les leçons.
Trop de pain, pas assez de fromage. Le houmous ? Une erreur stratégique. Le gaspacho ? À reconduire. Et le vin rouge du caviste du coin ? Oui, 10/10, on le note.
En vérité, gérer les approvisionnements pour un repas de famille, c’est gérer une Supply Chain à haute intensité émotionnelle, avec des ressources limitées, des délais non négociables, et des clients qui n’ont pas le sens de la patience.
Et si quelqu’un vous demande ce que vous faites dans la vie, vous pouvez répondre sans ciller :“J’évite les pénuries. Même de tarte aux pommes.”