De notre retour d’expérience sur nos implémentations chaîne critique, nous observons un phénomène intéressant dans les explications fournies quant aux retards en projet. Nous constatons, en effet, que plus la personne est en haut de la pyramide organisationnelle, plus les causes pointées par cette dernière sont exogènes. A contrario, plus la personne est à la base de la pyramide, plus les doigts accusateurs se tournent vers l’intérieur de l’organisation.
Quelles sont les raisons qui poussent les différentes parties d’une organisation à trouver des causes différentes à un même effet ?
La raison la plus courante est la présence de Murphy. La Loi de Murphy évoque le fait que si quelque chose doit mal se dérouler, cela se déroulera mal. Pour résumer, cela fait émerger le concept des aléas. Ainsi chaque étape du projet peut être soumise à des aléas. Afin de se protéger des aléas, les individus ont mis en place des marges de sécurité pour protéger chaque tâche.
Une des raisons qui pousse à renforcer ce type de comportement réside dans la manière dont nous construisons nos planning projet.
Si vous êtes la ressource bleue ; quel sera votre comportement au moment d’évaluer la durée de travail que vous aurez sur cette tâche. Il y a fort à parier que vous allez fournir une durée x pour la branche supérieure qui prendra en compte le fait que vous puissiez avoir des difficultés… MAIS aussi que vous intégriez qu’à un moment donné, vous allez avoir autre chose à faire sur ce même projet.
Ainsi ce phénomène est retranscrit par la courbe suivante :
Cette courbe indique la chose suivante ; si vous vous engagez sur le temps nominal (sans Murphy) pour réaliser une tâche alors vous avez 50% de chance de tenir cette durée !! Ainsi si vous êtes évalués par votre organisation sur votre capacité à terminer vos tâches à l’heure ; dans quelle mesure allez-vous vous engager sur des durées que vous avez 50% de chance de respecter ? A priori, vous allez vous protéger à hauteur de 90% voire plus.
Si on considère ce point, comment expliquer que les projets se terminent en retard ?
C’est qu’à ce phénomène vient s’ajouter deux autres effets : Le syndrome de l’étudiant et la Loi de Parkinson. Le syndrome de l’étudiant est un effet de procrastination. Vous demandez à un étudiant de réaliser un article en 4 semaines et ce dernier se met à travailler la veille au soir !
Ainsi toute la marge que l’étudiant avait est consommée au début du projet. La Loi de Parkinson est l’effet inverse. Vous donnez à une personne 4 semaines pour réaliser une tâche, cette dernière la réalise en 3 jours. Malheureusement le temps qui semble avoir été gagné va être confronté à deux effets ; le premier consiste à peaufiner la tâche jusqu’à tenir la durée annoncée. Le second effet est que le travail est terminé plus tôt mais la ressource suivante n’est pas disponible.
Ainsi le temps gagné est en fait… perdu.
Donc résumons, nous avons un plan de projet qui contient des marges pour se protéger des aléas et des phénomènes de multitâches et ces marges de sécurité vont se trouver consommées naturellement à cause des aléas, mais aussi du syndrome de l’étudiant et la Loi de Parkinson. Que devons-nous faire pour remédier à cela ?
Dans les paragraphes précédents, nous avons évoqué que la mise en œuvre de marges de sécurité servait à protéger chaque ressource de la durée annoncée. Ainsi nous estimons que la somme des protections locales assure la protection globale du projet. Nous savons que cette hypothèse est fondamentalement erronée.
Que doit-on proposer pour régler ce problème tout en sécurisant les projets ?
L’idée de la chaîne critique est en fait un spin off de la définition du chemin critique. Le chemin critique est défini comme la plus longue séquence de tâche d’un projet. Comme nous l’avons vu dans le diagramme précédent, cette approche pose problème notamment quand une ressource peut être amenée à travailler sur plusieurs branches d’un projet.
Il est par ailleurs intéressant que la définition traduite en français du chemin critique est subtilement différente de la définition anglaise :
« Generally, but not always, the sequence of schedule activities that determines the duration of the project. It is the longest path through the project. » PMBOK, 5th edition
Cet écart sous-entend que le chemin critique tel qu’il est défini n’est pas la garantie qu’il est l’enchaînement d’éléments faisant le délai du projet.
A l’inverse la chaîne critique est le chemin le plus long évitant tout conflit de ressources.
Ainsi si on reprend l’exemple précédent, vous trouverez ci-après le chemin critique et la chaîne critique :
Durée du chemin critique : 26 jours
Durée de la chaîne critique : 28 jours
La différence est certes importante, mais elle ne résout pas le problème de gestion de l’incertitude ainsi que le management des marges de sécurité. La méthode de la chaîne critique propose de prendre 50% des durées de la chaîne critique et des chaînes non critiques et de les placer ;
- soit à la fin du projet dans le cas de la chaîne critique,
- soit au croisement des branches non critiques avec la chaîne critique.
Ainsi le projet est protégé dans son ensemble et les protections auxiliaires permettent d’éviter l’émergence de nouvelles situations. La manière dont le projet est exécuté est également différente.
Nous allons regarder le % d’avancement de la chaîne critique en terme de durée réelle et planifiée. Puis nous allons comparer à la consommation de la protection du projet que nous aurons mis en fin de projet.
Cet outil s’appelle l’indice de protection de projet ou Fever Chart. Il est représenté de la manière suivante :
Ainsi nous avons le moyen d’absorber la variabilité inhérente à chaque projet et le moyen de suivre l’exécution. Ainsi sont les premiers éléments du management par la chaîne critique.