Le yaourt est moins cher à la palette. C’est vrai. Et pourtant, je ne connais personne qui rentre chez lui avec 480 pots de yaourt vanille entassés sur une Europalette en criant : “J’ai fait une super affaire !”. Pourquoi ? Parce qu’on est humain, et que même avec la meilleure volonté du monde, tu ne manges pas 480 yaourts avant qu’ils tournent. Même en forçant les enfants à prendre un dessert matin, midi et soir.
Tu sais que tu vas en jeter. Tu sais que t’as pas la place. Tu sais que ça va sentir la mort dans ton frigo au bout de cinq jours. Bref, tu n’achètes que ce dont tu as besoin, pour une période donnée, en fonction de ta conso réelle, et tu refais les courses quand il faut. C’est pas de la stratégie, c’est juste du bon sens.
Et pourtant, en Supply Chain, on oublie tout ça. On se retrouve à acheter, stocker, accumuler des volumes énormes, juste parce que le prix unitaire baisse à partir de X pièces. Alors oui, comptablement, ça fait plaisir. “Waouh, super négo, 8 % de remise volume !” Oui mais… pour stocker 14 mois de pièces que tu vas consommer sur 6. Et dans l’intervalle ? Tu immobilises du cash, tu satures les racks, tu perds la traçabilité, tu risques la péremption, tu rajoutes du stress au réassort, et t’as même pas encore vu la ligne de commande du client bouger à la baisse.
Dans la vraie vie, tu n’achètes pas une palette de yaourts, même si c’est moins cher, parce que tu sais que le coût du gaspillage est plus grand que l’économie à l’achat. Et bien en supply, c’est pareil. Ou du moins, ça devrait l’être.
Mais non. On fait le contraire. On raisonne “prix au kilo”, pas “besoin réel”. On fait des “achats intelligents” sur le papier, et des “catastrophes silencieuses” dans les entrepôts.
Et puis il y a l’autre effet pervers : quand t’as trop de stock, tu cesses de voir ce que tu consommes vraiment. Tu ne pilotes plus. Tu fais de la manutention, pas du flux. Tu fais du remplissage, pas du service. Et surtout, tu ne vois plus les signaux faibles. T’es juste content de pouvoir dire “on a du stock” quand quelqu’un s’inquiète. Sauf que t’as du mauvais stock, ou trop de bon au mauvais moment. Ce n’est pas mieux.
Imagine maintenant que toute ta famille s’y mette. Ta tante achète une palette de compotes. Ton cousin prend 150 kg de riz “parce que c’est une promo”. Et toi, t’es au frigo en train d’essayer de caser 8 cartons de crémes à la vanille entre une boîte de cornichons et un vieux fromage. C’est exactement ce qui se passe dans une entreprise quand chacun raisonne local, court terme, ou uniquement par le prix.
Le résultat ? C’est l’atelier qui n’a pas la pièce critique à 1 euro, parce que l’espace est pris par 14 palettes de composants “non urgents mais pas chers”, qu’on a reçus 3 mois trop tôt.
La vraie maturité, c’est pas de faire des “super coups d’achat”. C’est de savoir dire non à la palette, quand tu sais que t’en perdras la moitié, ou que tu vas déséquilibrer ton flux. La vraie économie, c’est de rester aligné avec le rythme réel de consommation. De piloter par le besoin, pas par la tentation.
Alors oui, c’est dur. C’est contre-intuitif pour certains. Mais la prochaine fois qu’un acheteur te vante sa réduction tarifaire “grâce à l’achat par 10 000 unités”, pose-lui la vraie question :
“OK, et tu comptes les stocker où ? Dans le congélateur de mamie avec mes yaourts ?”